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1- Mahmoud Darwich (trad. en 1977)

AHMAD AL ZAATAR
Poème de Mahmoud DARWICH (Poète palestinien)
Traduit de l’arabe en 1977 par MOHAMED RAFRAFI

Pour deux mains de pierre et de thym,
ce chant…
Pour Ahmed, oublié entre deux papillons.
Les nuages sont passés et m'ont laissé sans-abri
Les montagnes ont déployé leurs manteaux
et m'ont mis à l’abri.

Je descends de la lignée de l’ancienne blessure,
Vers les recoins du pays;
C’était l’année où la mer s’est retirée des villes des Cendres.
J’étais seul…
ensuite seul;
Oh seul que je suis !, et Ahmed,
était le désarroi de la mer entre deux balles de plomb,
un camp de réfugiés s'étendait et enfantait du thym et des combattants,
un bras endurci dans l'oubli,
une mémoire venant des trains qui partent
et des quais sans accueil ni jasmin.
Ahmed était la découverte de soi dans les arabas
dans le paysage marin,
dans la nuit des cellules de prison des pays frères,
dans les liaisons passagères
ou dans la recherche de la vérité.
Dans toutes choses, Ahmed croisait son contraire.

Vingt ans durant, il posait des questions.
Vingt ans durant, il partait.
Voilà vingt ans passés, sa mère l’a mis au monde à la hâte
dans un panier à bananes et s’est retirée.
Il réclame une identité et un volcan l’atteint.
Les nuages sont passés et m'ont laissé sans-abri
Les montagnes ont déployé leurs manteaux
et m'ont mis à l’abri.
Moi Ahmed l’arabe, dit-il.
Je suis les balles de plomb, les oranges et les souvenirs,
Me trouvant tout près de moi-même,
je me suis éloigné de la rosée et du paysage marin.

Tell al Zaatar - la tente.
Je suis le pays, venu se mettre dans ma peau.
Je suis l'incessant retour au pays.
Je me suis trouvé rempli de moi-même...
Ahmed est parti à la rencontre de ses côtes et de ses mains.
Il était l'enjambée - l’étoile.
De l’Océan au Golfe et du Golfe à l’Océan,
On préparait les lances,
pendant qu'Ahmed l’arabe montait pour voir Haïfa
et sauter.
Il est à présent l’otage.
La ville a abandonné ses rues,
et est venue pour le tuer.
De l’Océan au Golfe et du Golfe à l’Océan,
On préparait ses obsèques
On optait pour la guillotine.

Moi Ahmed l’arabe et qu'on m'impose l'état de siège.
Mon corps est muraille et qu'on m'impose l'état de siège.
Je suis la ligne de feu et qu'on m'impose l'état de siège.
Alors que moi aussi, je vous assiège,
je vous assiège.
Ma poitrine sert de refuge à tous
et qu'on m'impose l'état de siège.
Là, mon chant n’est pas fait pour portraiturer Ahmed,
le bleu sombre, dans la tranchée.
Les souvenirs sont derrière moi
et c’est bien le jour du soleil et des lys.
Ô enfant, dispersé entre deux fenêtres
qui n'échangent pas mes lettres,
résiste.
La ressemblance c’est pour le sable,
et toi, pour le grand bleu.

Je compte mes côtes,
Baradée fuit de mes mains
et les rives du Nil me tiennent au loin.
Je cherche les bouts de mes doigts,
et ce sont les capitales, toutes d’écume, que je vois.

Ahmed, dans la tranchée, égrène les heures.
Mon chant n’est pas fait pour portraiturer Ahmed,
brûlé par le bleu.
C’est bien lui Ahmed l’universel, rêveur et déchiré
dans ce fer-blanc incommode.
Il est les balles de plomb orange, la violette de plomb,
et le déclenchement décisif d’un midi, un jour de liberté.
Ô enfant, consacré à la rosée, résiste.
Ô pays-revolver dans mon sang, résiste.
À présent, je finis en toi mon chant
et m'engage dans ton état de siège.
À présent, je termine en toi mes questions
et renais de tes cendres.
Viens dans mon cœur, tu trouveras
mon peuple multiplié dans ton déflagration.

En me faufilant dans les détails,
je me suis accoudé sur des eaux et me suis brisé.
Ô Ahmed l’arabe,
Me faut-il que chaque fois qu’un coing mûrit comme un sein,
J'oublie alors les limites de mon cœur
et me réfugie dans un état de siège pour mesurer ma taille ?
L’amour ne m’a pas menti, mais chaque fois qu’arrive le soir,
un glas lointain m’absorbe,
je me rends alors à ma propre effusion pour redéfinir mes traits.
Je n’ai pas nettoyé mon sang, du pain de mes ennemis.
Mais chaque fois que je fais quelques pas sur un chemin,
s’enfuient les chemins proches et lointains.
Chaque fois que je tends une main fraternelle à une capitale,
elle me rejette ma valise.
Je me réfugie alors au quai du rêve et des poèmes.
Combien de fois, en marchant vers mon rêve,
les poignards me devancent ?
Oh ! Mon rêve, Oh ! Rome !
Beau tu es en exil, assassiné tu es à Rome.
Haïfa, par ici commence.
Ahmed c'est l'échelle du Mont Carmel,
l’invocation de la rosée, le thym du pays et la demeure.

Ne le volez pas aux hirondelles,
ne l’arrachez pas à la rosée.
Les yeux ont écrit leurs thrènes
et abandonné mon cœur à l’écho.
Ne le dérobez pas à l’éternité,
ne le disloquez pas sur la croix.
Il est la carte, la chair et l’embrasement du rossignol.
Ne l’arrachez pas aux pigeons.
Ne l’envoyez pas au fonctionnariat.
Ne coulez pas son sang en médaille,
Il est la violette dans une roquette.
Dans mon ascension vers la coalescence du rêve,
les fichus détails prennent forme de poire,
le pays se détache des bureaux,
et les chevaux des valises.

Aux cailloux une sueur...
J’embrasse le silence de ce sel.
Je donne la parole du citron au citron.
De ma plaie ouverte aux fleurs et aux poissons séchés,
j’allume ma chandelle,
Aux cailloux une sueur et un miroir,
et au bûcheron un cœur de colombe.
Je t’oublie souvent afin que les agents sécuritaires m’oublient.
Ô ma belle ! Tu éminces cœur et oignons frais
et t’en vas auprès des violettes.
Aux cailloux un poumon.
Ton silence a fondu la nuit embaumée.
Souviens-toi de moi donc avant que je n’oublie mes mains.

Dans mon ascension vers la coalescence du rêve,
les banquettes, sous mes arbres et sous ton ombre,
se resserrent,
s'envolent ceux qui s’accrochent
à tes blessures comme des mouches étésiennes,
et s'envolent ceux qui y assistent.
Souviens-toi de moi donc avant que je n’oublie mes mains!

Aux papillons mon labeur.
Les rochers sont mes messages sur terre.
Troie n’est pas ma demeure,
ni Massada mon temps.
J’émerge du durcissement du pain,
de l’eau expropriée,
d’un cheval perdu sur le chemin de l’aéroport,
de l’air marin,
des échardes adonnées à mon corps,
des yeux de ceux qui viennent au crépuscule de la plaine,
des caisses de légumes,
et de la force des choses, j’émerge…
J’appartiens à mon premier ciel
et aux pauvres de toutes les ruelles,
ceux qui chantent :
Résistance !
Résistance !

Le camp était le corps d’Ahmed,
Damas ses paupières
et le Hedjaz son ombre.
L'état de siège est devenu son passage sur les cœurs
des millions de captifs,
L'état de siège est devenu, son assaut
et la mer est sa dernière salve.

Ô toi, taille de tout ce vent.
Ô semaine de délice.
Ô nom des yeux, Ô toi, dont l’écho est de marbre
Ô Ahmed, né de pierre et de thym,
tu diras: NON !
tu diras: NON !
Ma peau est le burnous de tout paysan qui viendra des champs de tabac
pour éliminer les capitales.
Et tu dis: NON
Mon corps est le manifeste de ceux qui viennent des industries légères,
des hésitations et des épopées vers la conquête de l’étape
Et tu dis: NON
Ma main, compliment des fleurs et grenade,
levée comme un devoir quotidien face à l’étape.
Et tu dis: NON
Ô corps recouvert de flancs des montagnes
et de prochains soleils.
Et tu dis: NON
Ô corps qui épouse les vagues au-dessus de la guillotine,
Et tu dis: NON
Et tu dis: NON
Et tu dis: NON.
Tu meurs près de mon sang et revis dans la farine
Nous visiterons ton silence lorsque tes mains nous appellent,
lorsque la plume nous allume.
les chevaux ont piétiné les petits moineaux,
nous avons alors inventé le jasmin
pour que le visage de la mort disparaisse de nos mots.
Va loin dans les nuages et dans la culture des terres.
Il n'y a pas de temps pour l’exil ni pour ma chanson.
La cohue de la mort nous emportera,
laisse-la donc t'emporter.

Que nous soyons atteints de cette humble patrie
et de probable jasmin.
Va à ton sang qui est prêt à ta dispersion.
Viens à mon sang unifié à ton encerclement.
Il n'y a pas de temps pour l’exil, ni pour les belles fresques,
ni pour les funérailles ni pour les vœux.

Les oiseaux ont écrit leurs thrènes et m’ont laissé sans-abri.
Les champs ont déployé leurs manteaux, et m’ont recueilli.
Va loin dans mon sang ! va loin dans la farine !
Que nous soyons atteints de cette humble patrie
et de probable jasmin.
Ô Ahmed de chaque jour
Ô nom de ceux qui sont en quête de rosée
et de simplicité des noms.
Ô nom de l'orange.
Ô Ahmed l’ordinaire,
Comment as-tu réduit cette différence phonétique
entre pierre et pomme ?
entre algazelle et fusil?
il n’y a pas de temps pour l’exil ni pour ma chanson.
Nous irons dans le siège jusqu'aux extrêmes confins des capitales.
Va au plus profond de mon sang,
sous forme de bourgeons,
Va au plus profond de mon sang,
sous forme de bagues,
Va au plus profond de mon sang,
sous forme d'échelles.
Ô Ahmed l’arabe, résiste!
il n’y a pas de temps pour l’exil ni pour ma chanson.
Nous irons dans le siège,
jusqu’au quai du pain et des vagues.
C’est bien là ma superficie et celle de l’inséparable patrie
Une mort au-devant du rêve,
ou un rêve mourant sur le slogan.
Va au plus profond de mon sang,
Va en profondeur dans la farine.
Que nous soyons atteints de cette humble patrie
et de probable jasmin.
… Il a, pour lui, les courbures de l’automne,
les testaments de l’orange,
les poèmes en effusion,
les rides des montagnes,
les vivats,
les noces,
les magazines en couleurs,
les thrènes rassurants,
les affiches murales,
l’étendard,
le progrès,
la chorale,
le décret du deuil
et tout,
tout
et tout...

Lorsqu’il dévoile son visage à ceux qui se dirigent
vers les traits de son visage.
Ô Ahmed, l’inconnu,
comment nous as-tu habités vingt ans durant,
puis tu t'es éclipsé,
et ton visage est-il demeuré mystérieux comme le midi?
Ô Ahmed le mystérieux comme le feu et les forêts
montre-nous ton visage populaire
et lis ton dernier testament.
Ô spectateurs, dispersez-vous dans le silence,
éloignez-vous un peu de lui pour que vous le trouviez
en vous-même, froment et deux mains nues.
Éloignez-vous un peu pour qu’il lise son testament
aux morts s’ils sont bien morts,
pour qu’il jette les traits de son visage sur les vivants,
s'ils survivent vraiment.
Ahmed mon frère
Toi, le fidèle, l'Idole, et le temple
Quand témoigneras-tu ?
Quand témoigneras-tu ?
Quand témoigneras-tu ?

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