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g- F. Mitterrand (1/1997)

Mitterrand d’un point de vue arabe

Comme pour beaucoup de français, François Mitterrand était aux yeux des arabes, non pas seulement un des grands hommes français de ce siècle, mais aussi un homme énigmatique voire lunatique. Faudrait-t-il, néanmoins, préciser de quels arabes s’agit-il?
Pour la classe politique arabe et en particulier celle de sa génération, les avis étaient toujours mitigés. Mitterrand était, notamment aux yeux des arabes du Proche-Orient, ministre de la justice de Mollet lors de la fameuse attaque tripartite (par Israël, la Grande Bretagne et la France) au canal de Suez en l956. Mais, il était aussi, pour les Maghrébins de l’indépendance, un grand décolonisateur, sauf pour l’Algérie à propos de laquelle il avait mis un bémol colonial en lançant le fâcheux slogan «l’Algérie c’est la France».
Avec la Vème République et sous de Gaulle, Mitterrand était de point de vue arabe, l’antithèse politique, essentiellement hexagonale, du Général. Ce n’est que durant les années 70 qu’il devient, avec les communistes un symbole de gauche aux yeux de certaines oppositions arabes déjà, à l’époque, radicalisées par la panarabisation de la cause palestinienne et presque suffisamment représentées sur le sol français. Alors que pour quasiment tous les États arabes, la politique arabe officielle de la France (sous Pompidou comme sous d’Estaing) gardait encore un aspect gaulliste pro-arabe, que ce soit dans le conflit israélo-arabe (aujourd’hui réactualisé par Chirac) ou par rapport aux relations normalisées ou réaffirmées avec les régimes arabes anti-américains : L’Irak, la Libye et l’Algérie.
Le duel électoral d’Estaing-Mitterrand de 1981, indiquait déjà la volonté de rupture chez le futur président qui avait alors critiqué son adversaire pour sa position contre les accords de Camp David. Le premier voyage d’un président français à l’État Hébreu confirma cette volonté Mitterrandienne de rééquilibrer la position française dans le conflit proche-oriental.
Soucieux de ne pas perdre les liens traditionnels franco-arabes et, aussi, fidèle à une certaine valeur de gauche qui consiste à soutenir les mouvements révolutionnaires de libération, Mitterrand ne pouvait pas éviter la question palestinienne dans son discours devant la Knesset jusqu’à parler d’un État palestinien, perspective que son prédécesseur égyptien Sadate, lors d’une occasion similaire, avait volontairement négligée.
Dans cette politique, paradoxale selon certains, machiavélique selon d’autres, s’inscrivait la première visite d’un président français en Syrie (1985). Après la fâcheuse expérience multinationale au Liban, les dirigeants Syriens cherchaient auprès de Mitterrand une réelle volonté de ne plus s’aligner sur la politique américaine et de permettre à la France de jouer un rôle essentiel dans les conflits de la région dont israélo-arabe notamment. Aller dans ce sens cela voudrait dire aussi ne plus soutenir l’Irak contre l’Iran, alors en guerre, de ne pas faire de la question tchadienne un conflit franco-libyen avec tchadiens interposés et de soutenir davantage le Polisario.
Comme toile de fond, l’appel de Mitterrand à Cancun (1981) ne pouvait qu’accentuer chez les radicaux arabes le désir de voir Mitterrand représenter un de Gaulle de gauche plus engagé dans la cause arabe. Mais le divorce intérieur avec les communistes de France avait déjà donné le ton d’une politique Mitterrandienne plus pragmatique et plus social-démocrate que socialiste radical ou révolutionnaire.
La chute du Mur de Berlin, et combien symbolique, avait poussé davantage la politique extérieure de la France vers la construction européenne. L’idée de base était déjà là «la France est notre patrie et l’Europe notre avenir ». Cet européanisme, semblait s’effectuer au détriment d’une politique arabe de la France devenue plutôt circonstancielle et souvent soumise à la logique d’un nouvel ordre mondial à l’américaine et bien différent de celui de Cancun. D’où, par conséquent, la participation (très contestée par l’opinion populaire arabe et une partie de l’opinion de gauche en France) en 1991, dans la guerre du golfe contre l’Irak.
Si cette participation avait réajusté les rapports avec les États arabes de la coalition dont notamment la Syrie, elle n’avait pas pour autant permis à la France de recevoir des dividendes de cette guerre au même titre que les américains ni de jouer un rôle de véritable acteur dans le processus de paix au Proche-Orient. Bien au contraire, elle avait terni l’image et de la France et de son ex-président auprès de l’opinion populaire arabe et même auprès de certaines élites intellectuelles francophones ou francophiles, des pays arabes dont maghrébins notamment. Mais avec le temps (véritable allié du président visionnaire) les passions des foules finissent toujours par se calmer. D’autant plus que cette aventure n’avait pas déclenché chez les Arabes de France la violente réaction que l’on redoutait.
A propos des arabes de France, voilà une des composantes nationales non négligeable. N’a-t-il pas dit un jour «... et je me demande si nous ne sommes pas aussi un peu arabes !»! Donc, si on cherchait une dimension gaullienne pro-arabe chez Mitterrand, on la trouverait probablement dans les aspects sociaux de sa politique intérieure, menée depuis le début de son premier septennat : Régulariser la situation des milliers d’immigrés arabes (maghrébins en majorité) longtemps clandestins et exploités, opter pour leur intégration (d’ailleurs implicitement approuvée pour des raisons surtout économiques par les dirigeants de leurs pays d’origine, excepté le roi du Maroc), témoigner de la solidarité avec les victimes du racisme (le tout dernier geste du président envers le marocain de la seine). Pour n’en citer que les plus spectaculaires.
Il est vrai que, cette politique avait, volontairement ou non, engendré son contraire qui s’était longtemps nourri d’elle et peut-être aussi réciproquement. Mais le fait est là. Et puis les mesures radicales ne pourraient que susciter des réactions de même nature.
Par ailleurs, il est difficile de tirer, sans sondage, une conclusion précise sur l’image du Mitterrand aux yeux de la communauté arabe de France composée depuis deux décennies de deux générations à la fois successives et coexistantes. La première, illettrée dans sa majorité, est objectivement incapable de juger l’œuvre multidimensionnelle d’un président aussi complexe et riche qu’énigmatique. Par contre la deuxième génération dénommée «beur » et composée de jeunes (entre dix et vingt cinq ans) uniquement francophones, ne pourrait voir en Mitterrand que ce que pourraient voir les autres jeunes concitoyens de souche, avec peut-être une nuance de déception banlieusarde, mais elle était eu tous cas fière d’un Tonton solidaire sinon semblable dans sa différence; n’a-t-il pas lui-même dit en 1984 «Je célèbre souvent les différences, le droit à la différence et j’aimerais moi-même pouvoir bénéficier de ce droit-là»! Avec le tag, le rap, les radios libres, etc., cette génération de potes est la génération Mitterrand par excellence.
Entre les deux, une catégorie de résidents généralement à cheval entre deux cultures, composée d’élite intellectuelle et sociale et en partie étudiante et qui ne pourrait pas manifester de l’ingratitude envers le règne Mitterrandien qui lui avait permis de bénéficier entre autre des mêmes avantages sociaux que les deux générations.
De l’Algérie au Proche Orient, le Gaullisme avec les arabes, était synonyme d’une histoire française plutôt passionnelle, donc d’action et de grands rendez-vous. Du Maroc au Golfe, le Mitterrandisme, était en somme une histoire réfléchie. Parfois trop. Une sorte de liaison de raison... parfois raison d’État obligeait. (8 janvier 1996, décès de Mitterrand)
RAFRAFI
Janvier 1997

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