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mercredi, 16 mai 2007

Guerre et poésie

medium_Wafa.jpgElle est irakienne et poète. Elle s'appelle Wafa Abd al Razaq (photo ci-contre). Un ami m'appelle et me dit qu'elle vient de publier un long poème qui donne la chair de poule. Je ne la connaissais pas assez, juste son nom et quelques uns de ses poèmes autrefois parcourus à la hâte. Sans doute, j'avais tort. Mais la cohue des poètes oblige. Du Maroc à l'Irak, on en compte des milliers. Sauf que pour l'Irak, il faudrait toujours s'arrêter pour bien repérer. Ce n'est pas à cause de ce qui s'y passe depuis quatre ans, ou depuis une décennie ou deux, mais plutôt à cause du rôle qu'avais joué l'Irak voici un demi siècle dans l'évolution de la poésie arabe. En effet c'était bien une femme, Nazek al Mala'ika, poète et native de Bagdad, aujourd'hui octogénaire et alitée dans un hôpital cairote, qui avait dans les années quarante, inauguré avec son compatriote le poète Badr Shakir al Sayyab, l'ère de la modernité poétique arabe. Et grâce à ces deux précurseurs, le modernisme poétique s'était propagé dans tous les pays arabes.
Aujourd'hui encore, voici une poétesse qui s'impose non pas seulement par la qualité de sa poésie qui s'inscrit aisément dans le courant moderniste, mais aussi par une audace ahurissante qui défie certains tabous. Après quelques recueils de poèmes, Wafa Abd al Razaq nous propose un long poème intitulé "Mémoires de l'enfant de la guerre" qui en dit long sur cette tragédie irakienne. Mais à travers la vision de l'enfant victime (dont le fameux Ali, l'enfant de Bassora qui avait perdu ses deux bras et toute sa famille au début de l'invasion anglo-américaine) auquel la poétesse s'identifie d'une strophe à l'autre comme pour dire qu'il s'agit aussi de l'enfance que l'enfant de la guerre vient de perdre et de l'enfant qu'elle-même était.
Dès la réception de ce poème irakien qui m'a été envoyé par un ami syrien résident en Arabie saoudite (et que j'en remercie), je n'ai pas résisté à le lire tout de suite à Hédia, ma compagne, qui, déjà émue, s'est lancée, de son côté, à le traduire vers le français. Je vous laisse en apprécier ci-après quelques strophes.
RAFRAFI

Mémoires de l'enfant de la guerre


(La mer n'est pas un enfant)
1
Je lève ma tête vers la maison
(Pour me rappeler de ce qu'a dit l'arbre à ses branches)
une balle qui me ressemble tellement, me précède,
et tout devient enfant,
même les silhouettes qui partaient.
Ma mère tend ses bras
mon visage sort de la poche de son cœur
Pour me devancer vers le seuil
Mais la balle ouvre un monde d'encre


(Une seule femme ne suffit pas)
… 2
Me suffit-il de dire qu'un bouquet de roses séduit les couleurs?
Ou que le pain retire à la vie ses vêtements ?
Est-ce une garce cette vie ?
Pourquoi la classe est aujourd'hui d'une laideur taciturne ?
Le cahier de dessin n'est que plaies,
sur quoi, j'essaie de dessiner
une oie fuyant un mâle qui la poursuit
ou un pigeon couvant une fenêtre.
J'essaie de percer le vent
afin de dessiner une porte pour mon école
mais le vent tombe de sa canne
et sans bras, me transperce.
Un diplôme scolaire est trempé par la sueur
de l'argile arraché à l'image de l'eau.
Me suffit-il de dire, sur le bouquet de roses, les couleurs se sont pétrifiées ?


(En direction d'Allah)
… 2
Pourquoi les hommes sont-ils d'air ?
Et la procréation, de feu ?
Que signifie l'écoute du bourdonnement ?


(Le souper de dieu)
… 3
Salma est un tronc
Myriam est un temps
Toutes deux, cadavres
Suspendus à l'endroit.


(Embellir la mort)
… 6
Avale
avale ce parler cru
Et cuis tes mains
Puis cours
Plus rien ne reste pour parachever le commencement
C'est la fête des champs de mines


(Crocodile)
… 3
Le nord,
le sud
se sont engagés
à faire de mon enfance
un ballon pour le cirque.

(Genèse)
… 3
Pour soigner la réalité
j'ai besoin d'aspirine de vérité,
et des mers
pour purifier les prophètes de la parole.

… 6
Ma mère,
la brune du vrai,
a eu deux jumeaux,
la patrie et moi.


(Prière de la mort)
… 3
Accorde à mon âme son argile
Souffle en elle Ton image
pour que les chars m'évitent
La tuerie hurle
et les chars sont des paroles


Que dirais-je quand c'est Toi qui m'écrase ?
J'ouvre mon cœur, j'appelle Tes eaux
et les maringoins pondent des chars
pour Te faucher sans prudence
O mon dieu
Lorsque la mort priait pour les machines de guerre
je m'inquiétais pour Toi
je craignais qu'elle Te fasse porter le casque
qu'elle dise que Tu as trouvé Ton chemin de Damas
Tout est forcément périssable
O mon dieu, as-Tu légué à la mort Ta divinité ?
...

... 5
Eteignez l'écran
Eteignez les lumières
Ma divinité va tout bruler.

6
Sortez
L'enceinte du monde s'est écroulée.
De mon corps, mon cou, s'est détaché.

-----------------
Traduits de l'arabe par :
Hédia Dridi
Avec l'accord de l'auteur.
(Paris, mai 2007)

05:30 Publié dans Art | Lien permanent | Commentaires (11) |  Facebook | |

Commentaires

Je ne comprend pas pourquoi vous ne le transcrivez pas en version arabe originale

Traduit il perd toute sa beauté!

Écrit par : Anis | mercredi, 16 mai 2007

Cher Anis
C'est pour deux raisons:
1) Tant que l'auteur n'a pas encore publié ce poème, les droits d'auteur m'empêchent de reproduire ni le texte original ni même des extraits de ce texte en arabe.
2) Mon souci c'est de permettre aux francophones (qui ne sont pas arabophones) d'avoir une idée sur la création poétique arabe.
Par ailleurs, vous pouvez toujours acquérir le recueil une fois publié par son auteur, puisque vous êtes arabophone et vous avez apprécié la beauté du texte, perdue selon vous dans la traduction. Sachant que la traduction est par nature infidèle mais elle peut transmettre une certaine beauté. Et celle-ci qui vous a indiqué la beauté d'origine.
Merci pour votre passage.
RAFRAFI

Écrit par : RAFRAFI | mercredi, 16 mai 2007

traduit, il me devient accessible, si je n'en mesure pas la profondeur de l'origine, je sens que ces mots sont forts et lourd de sens, de vécu, à lire relire et méditer.

Écrit par : cocole | jeudi, 17 mai 2007

La souffrance et la révolte générent souvent de beaux textes, en voici un exemple !

Écrit par : aliscan | vendredi, 18 mai 2007

les images sont terribles
et merci de traduire
en effet comment lire comprendre partager sinon ?
la première strophe me touche particulièrement
les mots sont comme des balles
et font mal
et l'encre coule
amities

Écrit par : jeanne_01 | dimanche, 20 mai 2007

Hello Mon ami,

Non, je n'ai pas disparu dans quelques limbes. Certes ces derniers temps furent quelque peu muets. J'ai lu, j'ai apprécié. Aimé même. Le reste n'est que verbeux bavardages.

A bientôt

Écrit par : MG | lundi, 21 mai 2007

Heureusement que vous avez transcrit ces textes pour les non arabisants. Ils sont puissants et magnifiques, à lire et à relire. Merci du cadeau; Amicalement.

Écrit par : ariaga | mercredi, 23 mai 2007

Merci de nous mettre a porter de coeur ces merveilleux vers...

Des mots sont des ponts entre les uns et les autres. Entre un monde et un autre et si on y perd une partie de sa vérité, le partage est une force pleine de beauté.
La poésie une communion d'âme à âme...

Écrit par : corinne | vendredi, 08 juin 2007

A quand des nouvelles. Votre dernier texte était si fort;

Écrit par : ariaga | samedi, 16 juin 2007

La traduction est un art en soi, traduire avec sa sensibilité mais sans « déformer »…j’admire beaucoup…déjà de sa propre langue à soi ça n’est pas facile de dire…Et c’est là la parole des images qui dépasse « la métrique et la rime » comme un message universellement compris…Ca c’est beau même si ça fait mal dans toutes les langues…C’est fort d’émotion…
Merci

Écrit par : Aslé | mardi, 26 juin 2007

Ces extraits, heureusement traduits pour moi, me touchent jusqu'au fond du coeur!
Merci de nous les avoir fait partager!
amitiés,
Janine

Écrit par : janine | dimanche, 27 janvier 2008