dimanche, 25 mars 2012
Le faiseur de joie
Après « Mon nom n'est pas difficile », sixième recueil de poèmes paru en 2009, la poète égyptienne Fatima Naoot vient de publier son septième recueil intitulé "Le faiseur de joie" chez l’éditeur cairote "Merit Publishing House".
La presse égyptienne a réservé à ce recueil un accueil plutôt élogieux et c’est à juste titre. En guise d’aperçu du recueil je reproduis ci-après ce témoignage égyptien :
"La poète continue d’interpeller les lieux avec ce qu’ils retiennent de dates, de souvenirs et de significations, comme dans les poèmes: La mer Morte; Ma maison est une cinquième colonne; Cordoba; Les fenêtres de la maison; L’atelier du peintre; L'aéroport de Madrid; Un demi-lit; Le théâtre ouvert; Devant la porte de mon enfance; La mer du Nord; Notre vieille rue; La fenêtre de ma mère; Dans votre vieille demeure. Et d’interpeller également les objets et les solides en tant que signes des êtres humains et des événements, comme dans les poèmes: Horloge murale; Le poste de Radio de ma mère; La boîte à jouets; Oiseau; Fleurs de septembre; Balançoire en bois; La poupée de Geisha; Des clous. Dans d'autres poèmes la poète polémique avec le temps, elle le provoque, elle joue son jeu, comme dans les poèmes: La fin des notes de la gamme; Dans la matinée; Les mutations; Une dernière rencontre; Hier; Rose en plastique; A peine la cinquante-cinquième passée; Avant d'arroser les plantes au cours de la journée; Le cygne; Le jour des dix heures; Deux oies. Ses réflexions existentielles sur la vie et l'amour se révèlent à travers de nombreux autres poèmes, tels que: La métisse; Je suis eau; La branche m'a dit; Quelque chose comme du sel; Adam; Le migrant; En dépit de mon bien-aimé; Idole; La mort de la rose; Pour cela les noces sont rompues; Le jour où Gandhi est mort; Une tunique blanche et claire; Tu es mes erreurs, et bien d’autres poèmes. Par ailleurs la poète dédie ses poèmes "A tous les méchants dans le monde", et d’ajouter: "Soyez comme les fleurs, faiseurs de joie, ne soyez pas comme les héros des contes, voleurs de joie".
Avec 166 pages, le recueil contient environ 65 poèmes. Sur la première de couverture un dessin fait par Omar, fils de la poète, atteint d'autisme infantile précoce, illustrant un petit garçon et une petite fille dans des vêtements d'hiver, avec deux visages sans physionomie.
Sur la quatrième de couverture un extrait du poème Cordoba (Cordoue). Je vous propose que nous terminions sur cette traduction du poème :
Cordoue (Cordoba)
Lorsque nous remettrons la Terre à Dieu
nous devrons ramener l'univers à sa posture originelle:
Replanter les forêts que nous avons détruites
Réanimer par notre souffle vital
les squelettes dans lesquels
nous avons enterré vivant l'esprit
Restituer à l'oiseau sa sérénité
et son gazouillis
qu’il avait appris à faire taire
chaque fois que nous - êtres humains-
passions à proximité d'un arbre
Refaire du désert un désert
des prairies un paradis
puis recoller la pomme entamée
sur l'arbre du premier péché
pour que Dieu nous aime
Nous entraîner
à marcher sur le sable
sans que nos pieds longs n’écrasent
les colonnes de braves fourmis.
Nous devrons
disloquer le fleuve de Cordoba
et donner à sa moitié
le nom de: GUADA
et à l'autre moitié :
l'Oued-el-Kabir
puis reconvertir la cathédrale en une mosquée
et la mosquée
en église romaine.
Averroès se mettra debout
entre l'autel et le mihrab
pour dire:
"Le Vrai ne contredit pas le Vrai!"
Puis devant Dieu nous nous tiendrons
en longue file d'attente
pour constater
comment nous
avons opté pour que le Vrai
contredise le Vrai.
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Fatima Naoot
Cordoba / Avril 2010
Traduit de l'arabe par RAFRAFI
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vendredi, 16 mars 2012
Guella, une vision accomplie
Je me souviens toujours du festival estival de Tabarka en 1980, durant lequel j’ai réalisé un long entretien de presse avec le chanteur-compositeur Feu Hédi Guella, inhumé tout juste hier dans sa Tunisie natale. L’entretien n’a jamais été publié. Sa teneur de gauche n’a pas convaincu à l’époque mon frileux rédacteur en chef tunisien. C’était l’époque où la chanson progressiste engagée battait son plein, d’abord avec le précurseur Cheikh Imam en Egypte, ensuite la troupe de Nass El Ghiwane au Maroc, et Hédi Guella entre la Tunisie et la France.
Sur le plan musical, ce genre de chanson engagée ne correspondait pas aux critères de création auxquels croyait le mélomane que j’étais et suis encore. Toutefois je respectais le talon musical de ces musiciens engagés ainsi que leur aspiration vers un lendemain meilleur et plus juste. Appartenant à la même génération (Seconde génération de l’indépendance, qualifiée de « perdue » ), je partageais en effet cette aspiration mais avec une sensibilité idéologique plus ou moins différente.
Tout comme ma rencontre avec l’Egyptien Cheikh Imam (chez lui au Caire ensuite à Paris) et avec Nass el Ghiwane (aussi à Tabarka), je garde en mémoire celle avec Guella comme un précieux acquis et professionnel et personnel. Le courant de pensées a bien passé entre nous deux. J’ai apprécié sa vocation militante et sa vision panarabe et il a de son côté apprécié mon professionnalisme journalistique ainsi que mon modeste savoir musical. Je n’ai pas pu le rencontrer de nouveau que deux fois seulement. La dernière c’était en 1997 au cours d’une soirée poétique à MAD'ART Carthage. J’y étais convié en tant que poète et lui en musicien luthiste, qui agrémentait la lecture des poètes.
Le choc de sa disparition subite et prématurée, a été quelque peu amorti à mon sens par le fait qu’il put vivre cette révolution tunisienne à laquelle il aspirait et pour laquelle il chantait.
L’interviewe que Guella avait accordée à un journal tunisien francophone voilà tout juste un an et deux jours, donc deux mois après la fuite du dictateur tunisien, m’avait permis de redécouvrir l’authenticité, la lucidité et la sincérité de cet artiste engagé. J’en ai choisi quelques extraits qui dévoilent à la fois la vision militante, musicale et politique de sa génération dont, moi-même, je faisais partie presque intégrante.
Sur son engagement des années 60-80, et sur la révolution du 14 janvier 2011, Guella répond :
Je vais parler de ma génération d’abord. Je crois qu’il est important de rappeler que depuis 1966 cette génération a joué un rôle décisif dans l’histoire des luttes du peuple tunisien. Le fondement idéologique du système bourguibien, et par-là, ses choix stratégiques, ont commencé à se révéler au grand jour à cette époque, à savoir le déni de l’appartenance de la Tunisie au monde arabe, l’alliance avec l’Occident impérialiste, néo-colonialiste, et par voie de conséquence, l’écrasement et l’étouffement de toute voix discordante. Bourguiba, qui n’était que l’écho de la domination culturelle du «clan occidental», a porté deux coups destructeurs. Le premier, en frappant au cœur de notre religion (précisément au jeûne), et ce n’était pas un geste symbolique, car il s’agissait d’un élément constitutif de notre identité. Le second a été porté à la liberté d’expression sans laquelle nulle société ne peut poser un projet de progrès. Ce «grand homme d’Etat» a trouvé devant lui, en 1966 et jusqu’en 1985, peut-être même au-delà, l’avant-garde de nos camarades d’université qui ont dit démocratie, liberté d’expression, d’indépendance syndicale, qui ont dit non à la domination impérialiste et, bien sûr, la Palestine vaincra.
Et d’ajouter
Alors notre regard, je suppose, sur ce que j’appelle, moi, le soulèvement révolutionnaire de l’hiver 2011, que nous fassions partie ou non de groupes ou de mouvements politiques, est celui de la satisfaction d’une attente, ainsi que de l’avènement des masses populaires, loin devant nos visions, nos analyses et les éventuelles stratégies de luttes que nous avons pu imaginer. Un regard de confiance pour tout dire.
Je suis bouleversé par la découverte de la haute conscience politique de notre peuple, et émerveillé par le patriotisme de notre jeunesse pour laquelle nous avons eu bien peur. Et puis, semble-t-il, les responsables actuels, veulent être à l’écoute de cette voix, alors continuons
Entre Bourguiba et Ben Ali, Guella précise :
Bourguiba a dirigé le pays d’une main de fer. C’étaient des condamnations de 15 à 20 ans de prison, et les régimes arabes avaient le même comportement.
J’ajoute à cela que le système bourguibien avait, tout de même, un substrat conceptuel, une idéologie propre, que n’a jamais eu le président fuyard Ben Ali.
Sur sa génération et la révolution, il dit :
Je pense que l’élément déterminant a été la mobilisation consciente des classes laborieuses, pour les revendications catégorielles d’abord, puis, dans un sillage naturel, pour la liberté et la dignité. Notre génération, il faut le reconnaître, n’avait pas la même qualité de conscience et de détermination… C’était un régime (de Ben Ali) de petits mafieux, de tigres en papier. C’est ce qui a sûrement fait que notre peuple traverse le mur de la peur.
entre révolution et «révolution musicale», il ajoute
La révolution saura distinguer le vrai du faux. C’est dans l’ordre historique des choses. Pourtant, nombreux sont ceux qui pensent, aujourd'hui, qu’il suffit d’adhérer au moment révolutionnaire pour exister artistiquement.
A ceux-là, je dis que l’art se maintient toujours. Nul ne doit oublier que cette révolution a eu ses martyrs et qu’il faut offrir à ces martyrs ce qui est à la hauteur de leur sacrifice. Fidélité à leur mémoire et véracité des projets.
Mon Cher Hédi, repose en paix
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samedi, 03 mars 2012
Un accès à la lumière
Parce que sa poésie semble être forcément une raison d’être, et après son dernier recueil Mémoire de l’enfant de la guerre, notre amie irakienne Wafaa Abdul Razzaq vient de publier simultanément deux recueils de poèmes en langue arabe chez deux éditeurs: «L'institution de l’intellectuel arabe» à Sydney en Australie, et «Dar Al-Maarif» à Beyrouth au Liban. Le premier recueil, de 152 pages, intitulé «Je pénètre mon corps.. Je vous pénètre», est préfacé par Dr Ibrahim Abdul Aziz, avec un mot sur la quatrième de couverture par Dr Maslak Mimoun. La première de couverture est illustrée par l'artiste peintre Dr Msadaq Habib.
Le deuxième recueil, de 96 pages, avec le titre «Un accès à la lumière» et un sous titre «une image et un poème», est préfacé par Dr Abdul Salam Fazzazi, avec aussi un mot sur la quatrième de couverture par le grand poète irakien Saadi Youssef. Ce recueil comprend 24 poèmes inspirés par 24 images publiées en alternance. La première de couverture est illustrée par l'artiste peintre Mme Hamsa Hawwaz.
Du premier recueil «Je pénètre mon corps.. Je vous pénètre», je vous propose cet extrait du poème «Rien dans ma poche, sauf mon enfance» que j’ai traduit de l’arabe:
Rien dans ma poche, sauf mon enfance la bouche du papillon est mon amuletteses ailes, une prière pour les oiseauxqui rassure ma robe :n'aie pas peurle cœur de ma mère est une bourse,une provision pour la route,et un prophète entre mes tressesson invocation, frissons d’amoureusesses noms, la merla rivièrel’orageet la tristesse lumineusetout le reste est à distiller. |
ليسَ في جيبي غيرَ طفولتي فمُ الفراشاتِ تميمتي، أجنحتـُها صلاة ٌ للعصافير تطمئنُ ثوبي: لا تخفْ قلبُ أمـّي صُرَرٌ وأزودة ٌ للطريق نبيٌّ بين جدائلي رعشُ العاشقاتِ دُعاءُهُ أسماؤهُ البحرُ النـَّهرُ العاصفُ الحزنُ المضيء، كلُّ ُ ما دونه فليُختـَصَر. |
Plusieurs témoignages d'estime ont été déjà rendus à la poésie de Wafaa, mais celui du poète Saadi Youssef, cité plus haut, ne peut que compter beaucoup pour la poétesse qui reconnaît comme beaucoup d’autres d’ailleurs, dont moi-même, la place prestigieuse qu’occupe ce grand poète dans la poésie arabe contemporaine. Pour cette raison aussi, je vous propose son témoignage que j’ai traduit de l’arabe :
« Mme Wafaa Abdul Razzaq (Um Khalid) tient une grande place dans mon estime. Elle est pleine d’âme, généreuse de ses émotions et de son affection, sincère dans ce qu’elle voit, tâtonne et ressent.Je l'ai écoutée plus d'une fois entonner ses poèmes en dialecte du sud de l'Irak, de Bassora plus précisément.La passion est dévorante.Les textes, poèmes d’amour.*Maintenant le son de cloche change:Wafaa Abdul Razzaq écrit dans un arabe hautement classique!Qu’elle soit la bienvenue dans notre club...Bienvenue à elle en tant que fidèle à sa passion dévorante, à son thème préféré : l’amour au bord du gouffre.*Depuis la poétesse Lami’a Abbas Amara, je n’ai pas bénéficié d’une telle révélation:Soyons, nous deux, errantsdans le chuchotement des jardins.Moi sur ton corpsque je porte et avec lequel je me trimbale.*"Un accès à la lumière", des accès à la lumière...» (Saadi Youssef)
Du second recueil «Un accès à la lumière», je vous propose également un autre extrait :
Ô mon enfant-mer,Que je te nomme oiseau !Pour que le bleu s’envoleentre deux prophéties !Etale tes ailes donc,et entend l’écho du chantMes yeux à l’Est et mon cœur à l’OuestChoisis donc l’orientationque tu veuxet prend le largepar le biais de mon ivresse. | يا طفليَ البحر لأسميـّكَ طائراً كي يطيرَ الأزرقُ بين نبوءتين فاطلق جَناحيكَواسمع رجعَ الشدو عينايَ شرقٌوقلبيَ غرب فخذ ما تشاءُمن اتجاه ابحرْ بانتشائي |
A l’occasion de la parution de ces deux recueils, wafaa a accordé une interview au journal électronique «almothaqaf.com». A la question «comment vous présentez-vous ?», Wafaa répond magnifiquement en se référant à ses deux sources essentielles : son enfance et sa patrie. Pour terminer cette note, voici sa réponse :
«Tout simplement.. L’emmaillotage était dans des palmes, le lait c’était la rivière… Les enfants, dit-on, entendaient le bruissement du feu et montaient sur son crépitement. C’était l’ambiance qui régnait. Après sept hoquets j’ai "lancé l'appel" à l’Irak. Mais neuf désastres après, je me suis rendue compte que ma ruine était un jouet entre les mains des tyrans. Après dix vaches maigres, je n'ai pas trouvé Bagdad dans Bagdad, ni Wafaa dans Wafaa. Mon visage n’est plus mon visage, ni ma langue n'est ma langue. Ma démarche est mystérieuse. Et rien dans mon miroir que l’éponge..»
Bravo Wafaa…
RAFRAFI
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vendredi, 20 juillet 2007
Bonsoir amis
Qui ne pourrait pas se sentir déjà ami à cet espiègle gamin de quatre vingt dix ans ? A cet artiste de lait et de miel ? Cet Henri de nos rires déchaînés et Salvador de nos âmes enchaînées ?
Le 18 juillet 1917 était déjà là un bébé d'à peine un jour. Le 18 juillet courant, il est encore là, un bébé d'à peine un siècle.
Qui dit mieux ? Qui fait mieux ?
Il avait assez de souffle pour ses dix fois neuf bougies allumées de son gâteau et cadeau d'anniversaire "hôtement" monégasque, ainsi que pour ses chansons proposées à cette occasion devant ses fans, dont la fameuse "Bonsoir amis". Le secret est peut-être dans ce que lui-même révèle :
"J'avais trente ans lorsque j'ai découvert le Yoga. Depuis ma découverte par hasard d'un livre intitulé "L'art de la respiration" je me suis mis à pratiquer quotidiennement des exercices de respiration. J'ai également énormément appris à l'écoute des disques de Frank Sinatra et de Nat King Cole." (O Globo, avril 2006)
Aussi lorsqu'on est chanteur du multi-talentueux Boris Vian, on ne peut que surfer sur l'écume des jours, de vague en vague jusqu'aux rivages les plus lointains. C'était cela le destin lyrique de cet antillais d'outre-mer, de ce chanteur, guitariste, jazzman et parolier de tout âge et de tout brassage.
Se faufiler en chantant et en riant dans les méandres si tortueux et très souvent dangereux de tout un siècle de douleurs et de malheurs, c'est bien là un parcours qui sert de leçon ludique à tous les vivants et les survivants. L'heureux et le bienheureux Henri Salvador en est la preuve éloquente.
"Ben quoi ? Il faut bien que ça s'arrête un jour, non ? J'ai bientôt un siècle !" (VSD du 27 septembre 2006).
Ben alors Henri, rien ne presse encore. N'est-ce pas toi qui as dit:
"J'ai toujours adoré la vie. C'est fabuleux, la vie ! (...) Je ne vois que les bons moments. Les autres, je les oublie. Prenez le réveil : c'est formidable, on s'étire, une nouvelle journée commence. (...) Et puis le petit déjeuner : c'est fabuleux du bon café, du pain craquant, du beurre frais. (...) Il y a comme ça plein de petits bonheurs, il faut juste les remarquer et en profiter. Cette curiosité, c'est ce qui conserve". (Nouvelles Clés, automne 2006)
Ben alors Henri ! et avec ça tu écoutes ta femme de ménage qui te dit qu'après "quatre vingt dix ballets, Il n'y a pas de honte à jeter l'éponge"!!
Non Henri, il y a honte lorsque tu jettes ton éponge or qu'elle est encore imbibée de sève montante, d'intarissable source de mélodies et de fou-rire.
A "Bonsoir amis" bonjour Henri.
RAFRAFI
Mise à jour:
ADIEU HENRI et REPOSE EN PAIX
13-02-2008
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samedi, 23 juin 2007
La douce des anges
Lorsque j'ai écrit la note précédente sur la poète irakienne Wafa Abd al Razaq, et y cité Nazek Al- Mala'ika, je ne savais pas que les jours de celle-ci étaient brusquement comptés. En effet, l'irakienne Nazek al Mala'ika, n'est plus depuis mercredi dernier. Elle s'est éteinte à l'âge de 84 dans un hôpital cairote en Egypte, à la suite d'une chute brutale de sa tension artérielle. Ce n'était pas à cause de son premier poème qu'elle avait écrit (en 1932) à l'âge de dix ans, qu'elle était devenue célèbre. Mais cette précocité poétique témoignait déjà d'une aptitude ultérieure à jouer un rôle dans le renouveau poétique arabe. C'est ce qui est arrivé en 1947, date à laquelle, Nazek avait inauguré l'ère de la modernité poétique arabe en publiant le fameux poème "le choléra".
Ce poème avec un autre intitulé "Etait-il un amour ?", écrit la même année par son compatriote le poète Badr Shakir al Sayyab, (1926 - 1964) étaient considérés par les critiques comme les prémices du vers-librisme.
"Le choléra" avait figuré parmi les poèmes du premier recueil de Nazek paru à la même année à Bagdad sous le titre de "Amoureuse de la nuit" suivi par "Des éclats et de la cendre" (1949), "Le fond de la vague" (1957), "Arbre de la lune" (1968) et "La mer change ses couleurs" (1970). En outre de sa poésie, elle publie en 1962 une étude littéraire sur "Les questions de la poésie moderne" suivie en 1974 par une autre, sociologique, sur "le divisionnisme dans la société arabe", puis en 1992, "Psychologie de la poésie" et enfin en 1997 au Caire, un recueil de nouvelles ayant pour titre "Le soleil qui est derrière la cime".
Diplômée de l'université des arts de Bagdad en 1944, elle a aussi obtenu en 1954 la maîtrise en littérature comparative de l'université du Wisconsin aux Etats-Unis, après avoir appris le latin, l'anglais et le français. Son nom de connotation arabo-persique, Nazek Al-Mala'ika, qui se traduit par "la douce des anges", est l'un des noms de femme les plus cités dans le monde arabe et dans les milieux universitaires dans d'autres pays.
Son poème précurseur "le choléra" était également prémonitoire compte tenu de son contenu révélateur. L'atmosphère de la mort et de la désolation que propage "Le choléra", écrit voici 60 ans, règne aujourd'hui dans son Irak natal voire dans toute la région de l'orient arabe. De même que son inspiration de l'épidémie qui, au début du XVIIIème siècle, s'est développée en Égypte avant d'arriver en Europe, annonçait curieusement déjà sa propre mort, voici deux jours, en Egypte où elle s'est réfugiée depuis quelques années.
En dernier hommage à cette grande poète arabe d'Irak, je vous propose ci-après ma traduction de la première strophe de ce fameux poème suivie par sa version originale pour les plus exigeants parmi vous.
Rafrafi
le choléra
Nazek Al-Mala'ika
Bagdad 1947
La nuit est calme,
écoute cet impact des soupirs
sur les morts,
à travers ce silence
et au cœur de cet obscurité.
Des cris s'élèvent
et trépident,
un chagrin se dégage, s'attise
et fait osciller l'écho des gémissements.
Ebullition dans chaque cœur,
et désolation dans la paisible hutte.
Partout une âme hurlant dans les ténèbres,
partout une voix qui pleure.
C'est ce que la mort avait déjà lacéré
Oui c'est la mort, la mort, la mort.
Ah ! Quelle grosse peine pour le Nil,
causée par ce qu'avait fait la mort.
الكوليرا - لنازك الملائكة
بغداد 1947
سكَن الليلُ
أصغِ إلى وَقْع صَدَى الأنَّاتْ
في عُمْق الظلمةِ, تحتَ الصمتِ, على الأمواتْ
صَرخَاتٌ تعلو, تضطربُ
حزنٌ يتدفقُ, يلتهبُ
يتعثَّر فيه صَدى الآهاتْ
في كل فؤادٍ غليانُ
في الكوخِ الساكنِ أحزانُ
في كل مكانٍ روحٌ تصرخُ في الظُلُماتْ
في كلِّ مكانٍ يبكي صوتْ
هذا ما قد مَزّقَهُ الموتْ
الموتُ الموتُ الموتْ
يا حُزْنَ النيلِ الصارخِ مما فعلَ الموتْ
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