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mercredi, 30 janvier 2013

Solitude partagée

Suzanne_Saadiah.jpg

Saadiah Mufarreh par Bothayna Al-Essa
Texte traduit par Rafrafi :

 
Lecture de la poésie par la logique de la poésie,
Le recueil de Saadiah Mufarreh intitulé :
Oh Suzanne combien sommes-nous seules, nous deux !

Comment lire cette poésie? Celle qui essaie de servir de cadre pour l'agitation du monde et qui inaugure sa présence dans une géographie de solitude flagrante... Et ce à partir du titre: «Oh Suzanne combien sommes-nous seules, nous deux!» en passant par la première couverture illustrée d'une toile de Modigliani: Une femme toute seule avec des yeux invraisemblables, puis par la dédicace: «À toutes les femmes seules... exclusivement», et enfin par les 179 poèmes provoqués par la solitude, par l'excès de solitude mais aussi pour elle.
Ibn Manzur disait: «Le solitaire s'installe dans sa solitude et dans son isolement de ses amis par le biais de sa dissemblance avec eux». Le solitaire c'est donc l'individu, attaché à sa singularité, et non pas forcément à son isolement; et si l'isolement - comme nous dit aussi Ibn Manzur – signifie le retrait, la solitude, quant à elle, ne nécessite point, semble-t-il, l'isolement, ni ne l'exige; elle est plutôt un attachement conscient et intentionnel à la singularité et à la résistance contre la mentalité de troupeau, ou bien comme disait Charles Baudelaire: "Le vrai héros s'amuse tout seul."
Saadiah Mufarreh écrit une solitude remplie d'intimité, de gaieté, de jardins suspendus, d'arbres invisibles et de secrets. Elle trace ses frontières "derrière les portes entrebâillées", dans une zone intermédiaire qu'invente l'ego-poète de Mufarreh entre les deux mondes, de l'écrit et du réel, par une écriture portant poétiquement sur l'expérience de la vie, une écriture qui poétise le réel derrière la porte mi-secrète et entrebâillée...
On lit.. à titre d'exemple:
(Louange)
Je m'enivre de louange timide
Je l'entraîne vers les cuves de l'orgueil au fond de mon âme
Je lui déroule un tapis rouge
Et lui brûle l'encens du désir
Et…
espérant que j'attendrais...

Dans un autre poème on lit :

(Sarcasme)
Chaque fois que je suis sur le point de pleurer
J'aperçois un regard menant vers un certain sarcasme 
Je le tiens fermement
et l'attire vers moi
L'ego-poète de Mufarreh intronise, semble-t-il, les traits de sa solitude, autrement dit: de sa singularité, en construisant sa propre vision très intime de l'expérience même de sa vie et du monde qui l'entoure. Il surveille les détails inhérents et cachés dans les cryptes de l'existence et les démasque poétiquement, comme dans ses poèmes «Sacrifice», «Poussière», «Imposture», «Femme». On en lit, par exemple:
(Arbre)
Il résiste au mouvement du vent
afin de garder le calme de la survie, 
pleure dans la léthargie de la nuit, 
dans la brûlure du jour, se drape dans ses souvenirs verdoyés
et chante aux oiseaux rassurés
par ce qui reste du peu de son feuillage
La poétesse attrape le monde et ne le poétise pas artificiellement, mais plutôt elle en révèle ce qu'il recèle essentiellement de poétique. Ainsi les poèmes débordent successivement du sein de cette même solitude, et viennent librement comme des secrets qui rampent à travers la porte entrebâillée.
En insistant sur la différence entre la solitude (singularité) et l'isolement (retrait), l'ego-poète de Mufarreh jette des ponts de poésie pour s'adresser à l'autre, qu'il soit lointain ou proche, semblable ou différent. Ainsi la voit-on converser avec Juliette Binoche, Johnny Depp, Emily Dickinson, Anna  Akhmatova, et Walt Whitman. Notant que tous les derniers noms sont non-arabes, mais les distances d'intimité humaine et poétique, relient les ego-poètes entre eux en dissimulant l'espace et le temps.
La poétesse se flatte de sa solitude, laquelle, elle seule, la conduit vers le monde, vers la poésie et aussi vers son ego lui-même, en essayant ainsi d'écouter ce que disent les choses, afin de traduire le monde poétiquement et de le recréer par le langage. Ainsi on lit d'elle:"j'inventerai mon propre alphabet" ou encore "On invente de nouvelles voyelles"; ou lorsqu'elle parle de la cinquième porte "qui invente son cap virtuel"... Le cap de la poésie; la poésie qui est entièrement honnête, car créée à partir de l'ego, auquel elle appartient et contre lequel elle se révolte aussi. Le mensonge, comme dit Saadiah, "n'hésite pas à se suicider chaque fois que se manifeste le poème".
En persistant à interpeller la solitude de la poétesse, avec ce qu'elle trimbale d'êtres, de questions, de chagrin et de joie; solitude volontaire, par ses poèmes, courts, vastes et à l'épiderme fin, sous  lequel baigne le monde; des poèmes conduisant à une  tristesse incomplète, à un bonheur inachevé, à la beauté qui n'a cessé de se réaliser, avec chaque mot… on voit, d'une façon remarquable, comment dans les entrailles de la solitude, la poésie fleurit, expressément et non pas tacitement. À cet égard la poétesse confirme que ses visions qui surgissent sont "vertes", aussi écrit-elle sur la "verdure de nos âmes en présence de la douleur" et souligne: «J'écris un poème vert» ou encore «pour me trouver arbre». Quant à l'amour, il est a priori, selon elle, "un embryon vert". Elle devient même poétiquement extrémiste lorsqu'elle ajoute: "ma main faillit être un arbre..."
Cette solitude donc..qui est verte et fertile, verdoie par la poésie et s'enchante "de la vie tumultueusement"... elle se rebelle contre l'isolement et s'aligne sur le monde.
 
Bothayna Al-Essa (Son site Web ICI)
Texte publié sur les colonnes du journal Koweïti "Ar-Rayye" (L'opinion), n° 12020
 

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Pour finir, et en guise de cerise, je vous propose ma traduction de ces vers de Saadiah Mufarreh:

 

Saadiyya Mufarrah-w.jpg

Qu'est-ce qui donne à l'amour son temps
son bleu ondulé
sa tremblote des mains
le verdoiement de son sang
la jouissance de ses jours à leur début
sa rougeur chaude
sa progression dans son accomplissement 
les fleurs de ses habits
son nom narcissique et sacré
ses traits sur les visages des amoureux?

(Saadiah Mufarreh)

(Sa page sur KEEK ici, et sur Twitter ici)

RAFRAFI

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mardi, 01 janvier 2013

2013

23.jpg

An deux mille treize heureux à toutes et à tous.

 

RAFRAFI

02:28 Publié dans actu | Lien permanent | Commentaires (0) |  Facebook | |