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samedi, 17 janvier 2015

Appel aux "Survivants"

B7U2rUCCMAIN8FW.jpgAux caricaturistes de Charlie Hebdo:

En fait, vous n'avez pas besoin de prouver ni au monde ni à vous-même, que vous êtes libres; car votre liberté est déjà une réalité, légalement garantie. Ce n'est pas un attentat aussi criminel et terroriste, qui a, malencontreusement, coûté la vie de vos collègues, qui va détruire ce précieux acquis humain: la liberté d'expression.

Cependant, vous seriez d'accord, me semble-t-il, que votre liberté restera imparfaite aussi longtemps qu'il y ait des gens dans ce monde qui en sont privés. Albert Camus n'a-t-il pas dit à cet égard, "La liberté est un bagne aussi longtemps qu'un seul homme est asservi sur la terre."

Aujourd'hui, nous vivons dans un monde où le message se propage à la vitesse de la lumière, où toute expression libre sur n'importe quel sujet est susceptible de produire un effet papillon.

Ainsi, tu es aujourd'hui en mesure mon cher dessinateur de contribuer à créer l'événement, c'est-à-dire à faire l'Histoire.

Par conséquent et pour que votre liberté ne ressemble pas à un comportement d'enfants jouant naïvement et spontanément pendant les obsèques d'un membre de la famille, je vous invite à mettre à jour votre vision sur la situation des musulmans du monde; en particulier ceux qui ne sont pas encore en mesure de reconquérir leur liberté et que dire de réaliser l'importance de votre liberté d'expression, liberté qui pourrait leur sembler comme la brioche de Marie-Antoinette.

Parmi ces musulmans dont les Arabes précisément, il y a certains qui ont fait des révolutions baptisées Printemps Arabe. Pourquoi Printemps ! Parce qu'elles sont survenues après une longue léthargie durant laquelle la tyrannie avait fait d'eux des fantômes ou au mieux des machines au service de son pouvoir.

Ce que je vous suggère, chers dessinateurs c'est de vous tourner un peu vers ces tyrans, amis de vos dirigeants élus, et de leur consacrer ce que vous pouvez faire comme dessins des plus acerbes sur leur oppression et leur injustice, plutôt que de vous concentrer sur le Prophète Mahomet, considéré par tous ces musulmans, ne serait-ce que dans leurs cœurs sinon aussi par leur comportement, comme étant leur idéal humain et leur seule arme spirituelle face aux tyrans.

Entre la tyrannie de ceux qui les gouvernent d'une part et votre présentation caricaturale de leur idéal, d'autre part, ils se retrouveraient dans ce qui ressemble à un ouragan, qui pourrait grandir, s’accélérer et tout balayer. Dans le même temps, nous voilà témoins de ce qu'on appelle le terrorisme, et qui n'est en fait qu'un fruit amer de la tyrannie, de la marginalisation et de l'exclusion. Le discours religieux de ce terrorisme n'est qu'un usage symbolique d'un héritage spirituel pour justifier l'injustifiable, et non pas forcément l'expression d'une nature «terroriste» de la religion, ni d'aucune religion d'ailleurs.

Je dirais que la liberté de ces musulmans pourrait aussi renforcer et enrichir spontanément votre liberté de créativité. En revanche, asservis, localement par leurs tyrans, et mondialement par les politiques de convoitise et de monopole, et en même temps négligés par la petite bouche que vous en faites, ces musulmans vous diraient: Vous voilà presqu'à nouveau dans la fameuse position de l'épouse de Louis XVI !

En lisant récemment un article en langue arabe sur les événements sanglants de Paris, l'auteur cite Voltaire: "Les Français ne sont pas fait pour la liberté, ils en abuseraient." N'étant pas sûr de l'authenticité de cette citation, elle ne m'a vraiment pas pour autant convaincu; car je crois que tous les peuples sont faits pour la liberté et chacun à sa manière.

Comme Proudhon qui a défendu son socialisme en disant qu':"Il ne s'agit pas de tuer la liberté individuelle mais de la socialiser", je dirais que mon appel à vous ici, n'est pas pour que vous "tuez" votre liberté d'expression, mais pour l'humaniser. Edouard Herriot n'a-t-il pas dit: "Ceux qui ont conquis la liberté l'ont conquise pour tous"?

Aujourd'hui, au vu de ce que votre collègue, feu Georges Wolinski avait un jour dit: "Nous voulons du concret. Les idées on a vu où ça mène", je dirais que le concret que je vois est celui de faire de votre liberté d'expression un pont vers la liberté d'autrui, musulmans en l'occurrence, et non pas un canon pointé vers plus d'écrasement physique et symbolique à leur égard.

Que la liberté d'expression, si chère pour vous, pour nous, soit partout et pour tous.

RAFRAFI

NB.

Image jointe : Un dessin syrien autour du calvaire hivernal vécu par des enfants de réfugiés syriens.

"Je m'appelle Mohamed" est une note sur le même sujet publié ici après la publication des caricatures danoises en 2006. Voir ICI

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Charlie et Hanthala

Caricature de l'artiste peintre tunisien Chadly Belkhamsa:

Les Charlies et Hanthala (personnage symbolique du caricaturiste palestinien Naji Al-Ali, assassiné à Londres le 29 août 1987)

Chadly-Handhala.jpg

 

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jeudi, 15 janvier 2015

Schlomo Sand & Charlie

«Je ne suis pas Charlie»

mardi 13 janvier 2015 

par L'historien israélien athée Schlomo Sand

Via "L’Union Juive Française pour la Paix" [UJFP] 

Rien ne peut justifier un assassinat, a fortiori le meurtre de masse commis de sang-froid. Ce qui s’est passé à Paris, en ce début du mois de janvier constitue un crime absolument inexcusable. Dire cela n’a rien d’original : des millions de personnes pensent et le ressentent ainsi, à juste titre. Cependant, au vu de cette épouvantable tragédie, l’une des premières questions qui m’est venue à l’esprit est la suivante : le profond dégoût éprouvé face au meurtre doit-il obligatoirement conduire à s’identifier avec l’action des victimes ? Dois-je être Charlie parce que les victimes étaient l’incarnation suprême de la liberté d’expression, comme l’a déclaré le Président de la République ? Suis-je Charlie, non seulement parce que je suis un laïc athée, mais aussi du fait de mon antipathie fondamentale envers les bases oppressives des trois grandes religions monothéistes occidentales ?

Certaines caricatures publiées dans Charlie Hebdo, que j’avais vues bien antérieurement, m’étaient apparues de mauvais goût ; seule une minorité d’entre elles me faisaient rire. Mais, là n’est pas le problème ! Dans la majorité des caricatures sur l’islam publiées par l’hebdomadaire, au cours de la dernière décennie, j’ai relevé une haine manipulatrice destinée à séduire davantage de lecteurs, évidemment non-musulmans. La reproduction parCharlie des caricatures publiées dans le journal danois m’a semblé abominable. Déjà, en 2006, j’avais perçu comme une pure provocation, le dessin de Mahomet coiffé d’un turban flanqué d’une grenade. Ce n’était pas tant une caricature contre les islamistes qu’une assimilation stupide de l’islam à la terreur ; c’est comme si l’on identifiait le judaïsme avec l’argent !

On fait valoir que Charlie s’en prend, indistinctement, à toutes les religions, mais c’est un mensonge. Certes, il s’est moqué des chrétiens, et, parfois, des juifs ; toutefois, ni le journal danois, ni Charlie ne se seraient permis, et c’est heureux, de publier une caricature présentant le prophète Moïse, avec une kippa et des franges rituelles, sous la forme d’un usurier à l’air roublard, installé au coin d’une rue. Il est bon, en effet, que dans la civilisation appelée, de nos jours, « judéo-chrétienne », il ne soit plus possible de diffuser publiquement la haine antijuive, comme ce fut le cas dans un passé pas très éloigné. Je suis pour la liberté d’expression, tout en étant opposé à l’incitation raciste. Je reconnais m’accommoder, bien volontiers, de l’interdiction faite à Dieudonné d’exprimer trop publiquement, sa « critique » et ses « plaisanteries » à l’encontre des juifs. Je suis, en revanche, formellement opposé à ce qu’il lui soit physiquement porté atteinte, et si, d’aventure, je ne sais quel idiot l’agressait, j’en serais très choqué… mais je n’irais pas jusqu’à brandir une pancarte avec l’inscription : « je suis Dieudonné ».

En 1886, fut publiée à Paris La France juive d’Edouard Drumont, et en 2014, le jour des attentats commis par les trois idiots criminels, est parue, sous le titre : Soumission, « La France musulmane » de Michel Houellebecq. La France juive fut un véritable « bestseller » de la fin du 19ème siècle ; avant même sa parution en librairie,Soumission était déjà un bestseller ! Ces deux livres, chacun en son temps, ont bénéficié d’une large et chaleureuse réception journalistique. Quelle différence y a t’il entre eux ? Houellebecq sait qu’au début du 21ème siècle, il est interdit d’agiter une menace juive, mais qu’il est bien admis de vendre des livres faisant état de la menace musulmane. Alain Soral, moins futé, n’a pas encore compris cela, et de ce fait, il s’est marginalisé dans les médias… et c’est tant mieux ! Houellebecq, en revanche, a été invité, avec tous les honneurs, au journal de 20 heures sur la chaine de télévision du service public, à la veille de la sortie de son livre qui participe à la diffusion de la haine et de la peur, tout autant que les écrits pervers de Soral.

Un vent mauvais, un vent fétide de racisme dangereux, flotte sur l’Europe : il existe une différence fondamentale entre le fait de s’en prendre à une religion ou à une croyance dominante dans une société, et celui d’attenter ou d’inciter contre la religion d’une minorité dominée. Si, du sein de la civilisation judéo-musulmane : en Arabie saoudite, dans les Emirats du Golfe s’élevaient aujourd’hui des protestations et des mises en gardes contre la religion dominante qui opprime des travailleurs par milliers, et des millions de femmes, nous aurions le devoir de soutenir les protestataires persécutés. Or, comme l’on sait, les dirigeants occidentaux, loin d’encourager les « voltairiens et les rousseauistes » au Moyen-Orient, apportent tout leur soutien aux régimes religieux les plus répressifs.

En revanche, en France ou au Danemark, en Allemagne ou en Espagne où vivent des millions de travailleurs musulmans, le plus souvent affectés aux tâches les plus pénibles, au bas de l’échelle sociale, il faut faire preuve de la plus grande prudence avant de critiquer l’islam, et surtout ne pas le ridiculiser grossièrement. Aujourd’hui, et tout particulièrement après ce terrible massacre, ma sympathie va aux musulmans qui vivent dans les ghettos adjacents aux métropoles, qui risquent fort de devenir les secondes victimes des meurtres perpétrés à Charlie Hebdo et dans le supermarché Hyper casher. Je continue de prendre pour modèle de référence le « Charlie » originel : le grand Charlie Chaplin qui ne s’est jamais moqué des pauvres et des non instruits.

De plus, et sachant que tout texte s’inscrit dans un contexte, comment ne pas s’interroger sur le fait que, depuis plus d’un an, tant de soldats français sont présents en Afrique pour « combattre contre les djihadistes », alors même qu’aucun débat public sérieux n’a eu lieu en France sur l’utilité où les dommages de ces interventions militaires ? Le gendarme colonialiste d’hier, qui porte une responsabilité incontestable dans l’héritage chaotique des frontières et des régimes, est aujourd’hui « rappelé » pour réinstaurer le « droit » à l’aide de sa force de gendarmerie néocoloniale. Avec le gendarme américain, responsable de l’énorme destruction en Irak, sans en avoir jamais émis le moindre regret, il participe aux bombardements des bases de « daesch ». Allié aux dirigeants saoudiens « éclairés », et à d’autres chauds partisans de la « liberté d’expression » au Moyen-Orient, il préserve les frontières du partage illogique qu’il a imposées, il y a un siècle, selon ses intérêts impérialistes. Il est appelé pour bombarder ceux qui menacent les précieux puits de pétrole dont il consomme le produit, sans comprendre que, ce faisant, il invite le risque de la terreur au sein de la métropole.

Mais au fond, il se peut qu’il ait bien compris ! L’Occident éclairé n’est peut-être pas la victime si naïve et innocente en laquelle il aime se présenter ! Bien sûr, il faut être un assassin cruel et pervers pour tuer de sang-froid des personnes innocentes et désarmées, mais il faut être hypocrite ou stupide pour fermer les yeux sur les données dans lesquelles s’inscrit cette tragédie.

C’est aussi faire preuve d’aveuglement que de ne pas comprendre que cette situation conflictuelle ira en s’aggravant si l’on ne s’emploie pas ensemble, athées et croyants, à œuvrer à de véritables perspectives du vivre ensemble sans la haine de l’autre.

Shlomo Sand
(Traduit de l’hébreu par Michel Bilis)

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