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jeudi, 24 mai 2012
Les Feuilles Mortes
Pendant que les peuples arabes continuent à tracer leur parcours printanier avec intransigeance mais malheureusement aussi avec beaucoup de souffrance (en Syrie notamment), voilà que des figures arabes emblématiques du passé récent, de ma génération ou de celle qui la précède, arrivent à leur terme fatal. Il y a deux mois, le chanteur tunisien engagé, Hédi Guella quitta ce monde, suivi un mois après par le leader historique algérien Ben Bella, pour lesquels j’ai réservé deux notes que vous pouvez lire en cliquant sur leurs noms précités.
Certes, la disparition des uns et des autres est plus qu’une monnaie courante, hélas !
Dans l’entourage de chacun de nous, il y a de temps en temps, une disparition d’un être cher ou moins cher. En parler ne ramène nullement le défunt à la vie, sauf, peut-être, pour le faire revivre en pensée.
Parfois, en parler c’est en fait, parler de soi-même en quelque sorte. Les structuralistes n’ont pas tort lorsqu’ils affirment que «l'être humain est un réseau de relations», et «ne peut être appréhendé qu'à travers ce réseau». Le proverbe «Dis-moi qui tu fréquentes, je te dirai qui tu es» justifierait par ailleurs, cette révélation structuraliste. Il est vrai que la réalité n’est pas si carrée que ça, et que bien d’autres facteurs entrent en jeu ; mais, si d’une certaine façon, les vies d’autrui fécondent la notre, leurs morts nous permettent d’en faire le bilan en quelque sorte.
Mon sosie plasticien
Il s’appelait
Youssef Reqiq. Plus jeunes, lui et moi, nous nous ressemblions physiquement de telle sorte que les gens nous confondaient très souvent. C’était déjà une raison parmi d’autres pour nouer une amitié discrète. A l’époque, (les années 70, à Tunis) j’étais journaliste, lui, comédien à la scène et à l'écran. Je ne savais pas encore qu’il était aussi peintre. Il a fallu que l’on se perde de vue 25 ans durant, pour qu’on se retrouve un jour de l’année 1999 à Tunis, où, il me convie en invité d’honneur et en tant que poète, au
«Festival international des arts plastiques de Mahrès» (sa ville natale, 300 km au sud de Tunis). Il en était le fondateur et le président. Ce qui lui avait aussi permis de nouer des liens d’amitié avec des dizaines d’artistes-peintres étrangers.
Il s’est éteint le 13 mai courant, après tant d’années d’illumination par le jeu et par la couleur. Grace à Youssef j’ai découvert sa ville
Mahrès où les gens te font sentir que tu es chez toi, en famille, quelle que soit ton origine. Ainsi, j’ai pu gagner la profonde amitié de l’incontournable Hachani Dhieb (mécène du festival), de l’intellectuel Abdelaziz Lajnaf (l’Attaché de presse) et du sculpteur Hachemi Marzouk (Co-fondateur du festival).
Merci Youssef,
Repose en paix, et reçois mes tendres adieux.
L'important c'est la rose
A l’âge de dix ans (en 1960), je savourais déjà, avec un frisson pathétique et exalté, sa chanson dédiée à la militante du
FLN, la célèbre Tuniso-algèrienne
Djamila Bouhired et intitulée
«kulluna jamila» (Nous sommes tous Jamila). Je parle de la célèbre cantatrice
Warda Al Jazairia (Warda l’Algérienne), qui vient de nous quitter le 17 mai courant, par suite d'une crise cardiaque. Deux ou trois autres de ses chansons de l’époque, me berçaient (et me bercent encore) aussi, dont
Ya-nakhlitin (Ô deux palmiers) ou
khoudh ouyouni (prend mes yeux..) ou encore
sahrana (éveillée).
Depuis lors et jusqu’aux années 90, je n’étais pas exclusivement fan de cette grande artiste Franco-Algéro-Libano-Égyptienne. Née en 1939 à Puteaux (dans la région parisienne) ensuite, lyriquement formée aux débuts de sa carrière à Paris par un grand musicien tunisien
Sadoq Therayya, Warda (Rose, en français) avait choisi de relever son blason musical en choisissant son point de chute professionnel au Caire, qualifié de capitale arabe de la chanson. Démarche empruntée par la suite par d’autres grandes artistes maghrébines dont entre autres la Marocaine
Aziza Jalal et la Tunisienne
Oulaya.
Deux rendez-vous m’ont toutefois permis de redécouvrir d’autres facettes chez Warda. Le premier était lors de l’émission «
Les nuits du Ramadan» présentée en 1993 sur France 2 par
Frédéric Mitterrand, où Warda, en invitée d’honneur, a chanté avec
Georges Moustaki la fameuse chanson "
Les Feuilles Mortes" ; Et où elle s’est livrée à toutes sorte de questions posées par le brillant présentateur qui a avoué sa fascination devant cette diva à qui il a exprimé son regret de ne pas l’avoir assez connu auparavant. Mais c’était aussi l’occasion de découvrir le parcours aussi riche que tourmenté de cette aventureuse créature.
Le deuxième rendez-vous, était avec Massoud Fettouki, grand frère de Warda (voir photo ci-contre), terrassé lui aussi par une attaque cardiaque en 2009. Un soir de l’année 1996 et autour d’un super couscous aux poissons soigneusement préparé par
HEDIA, Massoud, accompagné par un ami tunisien, le violoniste
Farhat Bouallagui, débarquent chez-moi. C’était l’occasion pour découvrir non seulement d’autres détails sur la famille Fettouki, mais aussi, le talent musical du grand frère Massoud, qui au début était pour beaucoup dans la carrière de Warda. Percussionniste de formation, il m’a montré sa faculté de jouer au luth en se servant du mien ce soir là, et c’était juste pour m’exprimer son admiration du
«Rast adhil», un des modes musicaux tunisois.
Sous l'impulsion de l’ami Farhat (l’ex-premier-violoniste de
Sapho, de
khaled, de
Rachid Taha, de
Faudel et de
Sting; devenu alors l’impresario de Warda en France), j’étais invité à écrire quelques chansons pour Warda. J’en ai écrit quatre ou cinq. Mais à peine fignolées, ces chansons sont restées «feuilles mortes», que j’enterrerais peut-être un jour. La raison c’était que Warda n’a pas tardé à annoncer son désir de prendre sa retraite à cause d’une maladie du foie. De mon côté je m’apprêtais à vivre humainement et professionnellement une
Intifada, suivie de trois guerres successives (Irak en 2003, Liban en 2006, Gaza en 2009) pour arriver enfin à un printemps arabe sanglant, mais salutaire.
Entre temps, combien de poèmes sont-ils restés «feuilles mortes»? Combien d’amis sont-ils tombés en «feuilles mortes»? Oui,
l’important c’est la rose ! Mais, aussi finit-elle par se mourir pour mourir.
RAFRAFI
03:10 Publié dans actu, Art | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |