samedi, 08 août 2015
Camus sur Hiroshima
Albert Camus (1913-1960) sur Hiroshima. L'éditorial de Combat du 8 août 1945
Traduit en arabe par RAFRAFI
في مثل هذا اليوم وقبل 70 سنة بالضبط، الفيلسوف والأديب الفرنسي آلبير كامو (1913-1960) يكتب عن هيروشيما افتتاحية صحيفة "كومبا" (كفاح) بتاريخ 8 أغسطس/آب 1945
العالَم هو ما هو عليه، أي نذْرٌ يسير. هذا ما يعرفه الجميع منذ يوم أمس عبر العرض الهائل الذي انخرطت في تقديمه الإذاعة والصُّحف ووكالات الأنباء حول موضوع القنبلة الذرية.
وبالفعل، وفي خضم سيل التعليقات الحماسية، أخبرونا أن أيّ مدينة متوسطة الحجم يمكن تدميرها بالكامل بواسطة قنبلة بحجم كرة قدم. كما انخرطت صُحف أمريكية وإنجليزية وفرنسية في تحرير مقالات أنيقة حول المستقبل، والماضي، وحول المخترعين، والتكلفة، وحول النزوع للسِّلمية وآثار الحروب والعواقب السياسية وحتى حول الطابع المستقل للقنبلة الذرية. ولِنُلخّص ذلك في جملة واحدة: الحضارة الميكانيكية وصلت للتوّ إلى آخر مستوياتها من الوحشية. سيكون علينا أن نختار، في مستقبل قريب نوعا ما، بين الانتحار الجماعي أو الاستخدام الذكي للاستكشافات العلمية.
وفي انتظار ذلك، فإنه من الممكن أن نتصوّر أن هناك بعض البذاءة في أن يُحتفل هكذا باكتشاف جُعِل مبدئيا لكي يكون في خدمة الغضب الأكثر شراسة في التدمير من طرف الإنسان على مدى قرون عدة. أن يكون العِلْمُ في عالَمٍ متروك لجميع نكبات العنف، وعاجز عن أي تحكّم، وغير مكترث للعدالة ولسعادة البشر البسيطة، مكرّساً للقتل المنظم، فإن لا أحد دون شك، ما لم يكن أسير مثالية مستفحلة، سيخطر بباله أن يستغرب من ذلك.
على الاكتشافات أن يتم تسجيلها وتفسيرها وِفْق ماهيتها، وأن يتم إعلان ذلك على الملأ حتى تتوفر للإنسان فكرة صائبة عن مصيره. لكن أن تُحاط هذه الفضائح المروعة بأدبيات خلابة أو ساخرة، فهذا ما ليس مقبولا.
نحن، مُسْبقًا، لا نتنفّس بسهولة في عالم معذَّب. وها هو قلقٌ جديد يُعرَض علينا، ومن المرجح أن يكون حاسما. ودون شك ها هي البشرية أمام فرصتها الأخيرة. وربما سيكون ذلك في آخر الأمر مبررا لإصدار نشرة خاصة. ولكن سيكون ذلك بالتأكيد موضوعا لبعض الأفكار ولكثير من الصمت.
إلى جانب ذلك، هناك أسباب أخرى لأن نتلقّى بتحفظ الرواية المستقبلية التي ستقترحها علينا الجرائد. وعندما نرى المحرر الدبلوماسي لرويترز يُعلن أن هذا الاختراع من شأنه أن يجعل من المعاهدات أمرا قد عفا عليه الزمن أو يجعل من القرارات بما فيها قرار بوتسدام قرارات منتهية الصلاحية، ونراه يعلن أنه لا يبالي إذا كان الروس موجودين في كونيغزبيرغ أو الأتراك في مضيق الدردنيل، فإننا لا نستطيع إلاّ أن نضفي على هذا الاستعراض الجميل، نوايا غريبة بما يكفي، عن الحياد العلمي.
عسى أن تفهموننا جيّدا. إذا استسلم اليابانيون، بعد تدمير هيروشيما، بفعل التخويف، فنحن نفرح لذلك. ولكن نحن نرفض أن نستخلص من حدث خطير مثل هذا، شيئا آخر غير قرار الدفاع بحزم أكبر من أجل مجتمع دولي حقيقي، حيث لا يكون للقوى العظمى حقوق متفوقة على الدول الصغيرة والمتوسطة، وحيث تكف الحرب، تلك الآفة التي صارت فقط بسبب الذكاء البشري أمرا لا مفرّ منه، عن أن تكون مرهونة بأطماع أو بمذاهب هذه الدولة أو تلك.
أمام الآفاق المرعبة المفتوحة على البشرية، فإننا مازلنا نرى جيّدا أنّ السلام هو المعركة الوحيدة التي تستحق أن نخوضها. لم يعد هناك مجال للرجاء بل لأوامر تصدر من الشعوب تُوجِّهُها لحكوماتها، أوامر بأن تختار نهائيا بين الجحيم والتّعقل.
آلبير كامو
ترجمة من الفرنسية محمد الرفرافي
RAFRAFI
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lundi, 01 juin 2015
Poème interdit
J'ai reçu de l'écrivaine saoudienne Belqees Mulhim (@belqees_mulhim), un message contenant un de ses poèmes récents précédé d'une note. En raison de son importance et de la beauté du poème qu'il contient, son message en dit long sur "le dit et l'interdit". Ce qui m'a incité à le traduire pour vous. Je vous laisse le découvrir:
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Mon poème est interdit en Arabie Saoudite !!
Il y a deux semaines, on m'a demandé d'écrire un poème sur les valeurs morales et de le lire dans un forum organisé sur l'éducation.
À ce moment-là j'avais dans ma tête un poème sur l'humanité et me suis dite que cela fera l'affaire. J'ai envoyé le poème et du coup une surprise: on m'a demandé d'attendre parce qu'un agent de censure doit examiner le poème et juger de sa validité d'être publiquement lu ou non.
Ce censeur est un groupe de femmes travaillant au ministère de l'Éducation! Leur niveau de culture ne dépasse pas un millimètre. La durée de leur souffle intellectuel ne dépasse pas un centimètre!
Elles ont délibéré longuement pour qu'elles décident enfin le refus de mon poème. Leurs arguments reflètent une sorte de vengeance contre toute idée qui prône la conscience esthétique ou la culture humaine en général...
Mon texte a été accusé d'avoir profané la divinité et de s'être inspirer des idées d'athées et de croisés, et bien d'autres fumisteries dont je ne me souviens pas!
Elles se sont opposées à des expressions telles que: amulette, Kabir (prénom du poète hindou, le mot arabe kébir signifie «Grand»), félicité céleste, mélodie de la corde et surtout à la conception même de mon texte qui appelle à l'égalité et à l'humanisme...
Je suis désolée de voir celles et ceux qui s'opposent à la créativité, se vanter de leur foi et de la pureté de leur credo alors qu'ils excommunient l'autre et ne voient sa bienfaisance qu'à travers le trou d'une aiguille!
Et maintenant... mon poème a-t-il quelque peu servi de pansement sur la blessure de «Kabir»?
J'aurais aimé infuser mon poème et le lui faire boire par le biais des cordes célestes.. Oh, ai-je dit célestes! J'ai peur d'avoir proféré un blasphème qui me ferait perdre mon amour pour les êtres humains!
Le chant de «Kabir» *
Par Belqees Mulhim
-1-
Il y a cinq siècles, le monde connaissait par cœur d'amour une chanson immortelle gazouillée par un poète appelé «Kabir»
Moi-même, je l'ai également apprise par cœur et transformée en une amulette
"Ne vas pas au jardin des fleurs, Ô ami, n'y va pas ! En toi est le jardin des fleurs"
En toi est le jardin des fleurs. Demeure sur le lotus aux mille pétales et là, contemple l'infinie beauté. (Kabir)
Une fleur s'ouvre en calice
au moment où le soleil flamboie dans mes côtes
vibre dans mon sang en faisceaux de lumière
se propage dans l'étendue, dans la luminosité et dans le ciel
elle continue à rester un chant sur les becs des oiseaux
Dans les champs, je cueille des épis dont se dégage le parfum de la vie
Là ..
Dans le champ de lotus je coupe mon âme en deux
Telle une copieuse mélodie sur une corde
Juste à présent
Je peux vous dire:
Entrez dans les rimes de la poétique..
-2-
Dans le dédale du chaos humain
Dans l'infusion de la coloquinte des guerres
Dans le spleen d'une larme
dans la déception des rendez-vous
Dans la ruse des attitudes
La chanson de Kabir allait se mourir
Et se tarir comme une fontaine entourée de papillons morts calmement
Dans une telle obscurité
Une faible lumière m'a conduit à Dieu
Ainsi qu'une voix humaine
La voix de la terre
La voix du ciel, qui d'ores et déjà habite entièrement en moi,
me dit:
Assaille les monstres des ténèbres par ta chandelle
Brûle le bout de la forêt bâtarde
Le langage bâtard
et la religion bâtarde!
Puis laisse-les s'évaporer
comme s'évapore le sel des démons
-3-
Dans une telle obscurité
Je frotte mon cœur avec les larmes des pauvres
jusqu'à ce qu'il devienne comme une lumière rougeoyante
Et le monde devienne sources, soleil, lune et dôme de marbre,
Ainsi je me l'approprie davantage.
Comme un essaim d'oiseaux
La chanson de «Kabir» s'est remise à gazouiller
À taper sur mon cœur avec une rose
Et à le maintenir jusqu'au bout du chemin:
Tu es pure comme la neige, les mûriers et les chênes
Tu as une grande taille comme les palmiers de mon pays
Tu es sombre comme le voile des veuves
Tu es une nuée et une pluie qui irrigue la matrice de la terre
Tu es un four pour cuire le pain de chasteté
-4-
La chanson de «Kabir» s'est remise à gazouiller
se faisant l'écho du chant de l'amour à l'humanité
Vers la félicité universelle:
Je serai ce que je devrais être
et ce que désirent mes pas et ma langue
j'apprivoise mes erreurs
et avec elles je monte au plus haut de mon faîte
Je me creuserai une place dans la roche
Je planterai une rose
et sèmerai une poignée de blé
pour nourrir tout foie desséché
Je passerai mes doigts sur la tête d'un orphelin
sans le blesser
et lui demanderai: comment t'appelles-tu? Ou, quelle est ta tribu? Ou bien, c'est quoi ta religion?
J'ouvrirai mon cœur et crierai mon amour universel
Je taperai les portails des villes éloignées
J'y entrerai avec la charte de la paix
et présagerai:
une nouvelle aube émergera
avec la psalmodie de ses signes scellés à l'horizon
cherchant des matins derrière les frontières lointaines
jusqu'au bout de l'étendue
en vue de faire mûrir les épis ornés de blanc
-5-
La chanson de «Kabir» s'est remise à gazouiller
se faisant l'écho du chant de l'amour à l'humanité
Vers la félicité universelle:
"L’Âme suprême
est vue en dedans de l’âme.
Le point ultime est vu dans l’Âme suprême.
Et, dans ce Point, les créations se reflètent encore."
.....
* Poète hindou du XIVe siècle. Il avait eu de nombreux adeptes. Il prônait l'unité des religions et le refus du racisme.
Les passages cités dans ce texte sont du grand poète «Kabir»
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RAFRAFI
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samedi, 17 janvier 2015
Appel aux "Survivants"
Aux caricaturistes de Charlie Hebdo:
En fait, vous n'avez pas besoin de prouver ni au monde ni à vous-même, que vous êtes libres; car votre liberté est déjà une réalité, légalement garantie. Ce n'est pas un attentat aussi criminel et terroriste, qui a, malencontreusement, coûté la vie de vos collègues, qui va détruire ce précieux acquis humain: la liberté d'expression.
Cependant, vous seriez d'accord, me semble-t-il, que votre liberté restera imparfaite aussi longtemps qu'il y ait des gens dans ce monde qui en sont privés. Albert Camus n'a-t-il pas dit à cet égard, "La liberté est un bagne aussi longtemps qu'un seul homme est asservi sur la terre."
Aujourd'hui, nous vivons dans un monde où le message se propage à la vitesse de la lumière, où toute expression libre sur n'importe quel sujet est susceptible de produire un effet papillon.
Ainsi, tu es aujourd'hui en mesure mon cher dessinateur de contribuer à créer l'événement, c'est-à-dire à faire l'Histoire.
Par conséquent et pour que votre liberté ne ressemble pas à un comportement d'enfants jouant naïvement et spontanément pendant les obsèques d'un membre de la famille, je vous invite à mettre à jour votre vision sur la situation des musulmans du monde; en particulier ceux qui ne sont pas encore en mesure de reconquérir leur liberté et que dire de réaliser l'importance de votre liberté d'expression, liberté qui pourrait leur sembler comme la brioche de Marie-Antoinette.
Parmi ces musulmans dont les Arabes précisément, il y a certains qui ont fait des révolutions baptisées Printemps Arabe. Pourquoi Printemps ! Parce qu'elles sont survenues après une longue léthargie durant laquelle la tyrannie avait fait d'eux des fantômes ou au mieux des machines au service de son pouvoir.
Ce que je vous suggère, chers dessinateurs c'est de vous tourner un peu vers ces tyrans, amis de vos dirigeants élus, et de leur consacrer ce que vous pouvez faire comme dessins des plus acerbes sur leur oppression et leur injustice, plutôt que de vous concentrer sur le Prophète Mahomet, considéré par tous ces musulmans, ne serait-ce que dans leurs cœurs sinon aussi par leur comportement, comme étant leur idéal humain et leur seule arme spirituelle face aux tyrans.
Entre la tyrannie de ceux qui les gouvernent d'une part et votre présentation caricaturale de leur idéal, d'autre part, ils se retrouveraient dans ce qui ressemble à un ouragan, qui pourrait grandir, s’accélérer et tout balayer. Dans le même temps, nous voilà témoins de ce qu'on appelle le terrorisme, et qui n'est en fait qu'un fruit amer de la tyrannie, de la marginalisation et de l'exclusion. Le discours religieux de ce terrorisme n'est qu'un usage symbolique d'un héritage spirituel pour justifier l'injustifiable, et non pas forcément l'expression d'une nature «terroriste» de la religion, ni d'aucune religion d'ailleurs.
Je dirais que la liberté de ces musulmans pourrait aussi renforcer et enrichir spontanément votre liberté de créativité. En revanche, asservis, localement par leurs tyrans, et mondialement par les politiques de convoitise et de monopole, et en même temps négligés par la petite bouche que vous en faites, ces musulmans vous diraient: Vous voilà presqu'à nouveau dans la fameuse position de l'épouse de Louis XVI !
En lisant récemment un article en langue arabe sur les événements sanglants de Paris, l'auteur cite Voltaire: "Les Français ne sont pas fait pour la liberté, ils en abuseraient." N'étant pas sûr de l'authenticité de cette citation, elle ne m'a vraiment pas pour autant convaincu; car je crois que tous les peuples sont faits pour la liberté et chacun à sa manière.
Comme Proudhon qui a défendu son socialisme en disant qu':"Il ne s'agit pas de tuer la liberté individuelle mais de la socialiser", je dirais que mon appel à vous ici, n'est pas pour que vous "tuez" votre liberté d'expression, mais pour l'humaniser. Edouard Herriot n'a-t-il pas dit: "Ceux qui ont conquis la liberté l'ont conquise pour tous"?
Aujourd'hui, au vu de ce que votre collègue, feu Georges Wolinski avait un jour dit: "Nous voulons du concret. Les idées on a vu où ça mène", je dirais que le concret que je vois est celui de faire de votre liberté d'expression un pont vers la liberté d'autrui, musulmans en l'occurrence, et non pas un canon pointé vers plus d'écrasement physique et symbolique à leur égard.
Que la liberté d'expression, si chère pour vous, pour nous, soit partout et pour tous.
RAFRAFI
NB.
Image jointe : Un dessin syrien autour du calvaire hivernal vécu par des enfants de réfugiés syriens.
"Je m'appelle Mohamed" est une note sur le même sujet publié ici après la publication des caricatures danoises en 2006. Voir ICI
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Charlie et Hanthala
Caricature de l'artiste peintre tunisien Chadly Belkhamsa:
Les Charlies et Hanthala (personnage symbolique du caricaturiste palestinien Naji Al-Ali, assassiné à Londres le 29 août 1987)
04:17 Publié dans actu, Art | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook | |
jeudi, 15 janvier 2015
Schlomo Sand & Charlie
«Je ne suis pas Charlie»
mardi 13 janvier 2015
par L'historien israélien athée Schlomo Sand
Rien ne peut justifier un assassinat, a fortiori le meurtre de masse commis de sang-froid. Ce qui s’est passé à Paris, en ce début du mois de janvier constitue un crime absolument inexcusable. Dire cela n’a rien d’original : des millions de personnes pensent et le ressentent ainsi, à juste titre. Cependant, au vu de cette épouvantable tragédie, l’une des premières questions qui m’est venue à l’esprit est la suivante : le profond dégoût éprouvé face au meurtre doit-il obligatoirement conduire à s’identifier avec l’action des victimes ? Dois-je être Charlie parce que les victimes étaient l’incarnation suprême de la liberté d’expression, comme l’a déclaré le Président de la République ? Suis-je Charlie, non seulement parce que je suis un laïc athée, mais aussi du fait de mon antipathie fondamentale envers les bases oppressives des trois grandes religions monothéistes occidentales ?
Certaines caricatures publiées dans Charlie Hebdo, que j’avais vues bien antérieurement, m’étaient apparues de mauvais goût ; seule une minorité d’entre elles me faisaient rire. Mais, là n’est pas le problème ! Dans la majorité des caricatures sur l’islam publiées par l’hebdomadaire, au cours de la dernière décennie, j’ai relevé une haine manipulatrice destinée à séduire davantage de lecteurs, évidemment non-musulmans. La reproduction parCharlie des caricatures publiées dans le journal danois m’a semblé abominable. Déjà, en 2006, j’avais perçu comme une pure provocation, le dessin de Mahomet coiffé d’un turban flanqué d’une grenade. Ce n’était pas tant une caricature contre les islamistes qu’une assimilation stupide de l’islam à la terreur ; c’est comme si l’on identifiait le judaïsme avec l’argent !
On fait valoir que Charlie s’en prend, indistinctement, à toutes les religions, mais c’est un mensonge. Certes, il s’est moqué des chrétiens, et, parfois, des juifs ; toutefois, ni le journal danois, ni Charlie ne se seraient permis, et c’est heureux, de publier une caricature présentant le prophète Moïse, avec une kippa et des franges rituelles, sous la forme d’un usurier à l’air roublard, installé au coin d’une rue. Il est bon, en effet, que dans la civilisation appelée, de nos jours, « judéo-chrétienne », il ne soit plus possible de diffuser publiquement la haine antijuive, comme ce fut le cas dans un passé pas très éloigné. Je suis pour la liberté d’expression, tout en étant opposé à l’incitation raciste. Je reconnais m’accommoder, bien volontiers, de l’interdiction faite à Dieudonné d’exprimer trop publiquement, sa « critique » et ses « plaisanteries » à l’encontre des juifs. Je suis, en revanche, formellement opposé à ce qu’il lui soit physiquement porté atteinte, et si, d’aventure, je ne sais quel idiot l’agressait, j’en serais très choqué… mais je n’irais pas jusqu’à brandir une pancarte avec l’inscription : « je suis Dieudonné ».
En 1886, fut publiée à Paris La France juive d’Edouard Drumont, et en 2014, le jour des attentats commis par les trois idiots criminels, est parue, sous le titre : Soumission, « La France musulmane » de Michel Houellebecq. La France juive fut un véritable « bestseller » de la fin du 19ème siècle ; avant même sa parution en librairie,Soumission était déjà un bestseller ! Ces deux livres, chacun en son temps, ont bénéficié d’une large et chaleureuse réception journalistique. Quelle différence y a t’il entre eux ? Houellebecq sait qu’au début du 21ème siècle, il est interdit d’agiter une menace juive, mais qu’il est bien admis de vendre des livres faisant état de la menace musulmane. Alain Soral, moins futé, n’a pas encore compris cela, et de ce fait, il s’est marginalisé dans les médias… et c’est tant mieux ! Houellebecq, en revanche, a été invité, avec tous les honneurs, au journal de 20 heures sur la chaine de télévision du service public, à la veille de la sortie de son livre qui participe à la diffusion de la haine et de la peur, tout autant que les écrits pervers de Soral.
Un vent mauvais, un vent fétide de racisme dangereux, flotte sur l’Europe : il existe une différence fondamentale entre le fait de s’en prendre à une religion ou à une croyance dominante dans une société, et celui d’attenter ou d’inciter contre la religion d’une minorité dominée. Si, du sein de la civilisation judéo-musulmane : en Arabie saoudite, dans les Emirats du Golfe s’élevaient aujourd’hui des protestations et des mises en gardes contre la religion dominante qui opprime des travailleurs par milliers, et des millions de femmes, nous aurions le devoir de soutenir les protestataires persécutés. Or, comme l’on sait, les dirigeants occidentaux, loin d’encourager les « voltairiens et les rousseauistes » au Moyen-Orient, apportent tout leur soutien aux régimes religieux les plus répressifs.
En revanche, en France ou au Danemark, en Allemagne ou en Espagne où vivent des millions de travailleurs musulmans, le plus souvent affectés aux tâches les plus pénibles, au bas de l’échelle sociale, il faut faire preuve de la plus grande prudence avant de critiquer l’islam, et surtout ne pas le ridiculiser grossièrement. Aujourd’hui, et tout particulièrement après ce terrible massacre, ma sympathie va aux musulmans qui vivent dans les ghettos adjacents aux métropoles, qui risquent fort de devenir les secondes victimes des meurtres perpétrés à Charlie Hebdo et dans le supermarché Hyper casher. Je continue de prendre pour modèle de référence le « Charlie » originel : le grand Charlie Chaplin qui ne s’est jamais moqué des pauvres et des non instruits.
De plus, et sachant que tout texte s’inscrit dans un contexte, comment ne pas s’interroger sur le fait que, depuis plus d’un an, tant de soldats français sont présents en Afrique pour « combattre contre les djihadistes », alors même qu’aucun débat public sérieux n’a eu lieu en France sur l’utilité où les dommages de ces interventions militaires ? Le gendarme colonialiste d’hier, qui porte une responsabilité incontestable dans l’héritage chaotique des frontières et des régimes, est aujourd’hui « rappelé » pour réinstaurer le « droit » à l’aide de sa force de gendarmerie néocoloniale. Avec le gendarme américain, responsable de l’énorme destruction en Irak, sans en avoir jamais émis le moindre regret, il participe aux bombardements des bases de « daesch ». Allié aux dirigeants saoudiens « éclairés », et à d’autres chauds partisans de la « liberté d’expression » au Moyen-Orient, il préserve les frontières du partage illogique qu’il a imposées, il y a un siècle, selon ses intérêts impérialistes. Il est appelé pour bombarder ceux qui menacent les précieux puits de pétrole dont il consomme le produit, sans comprendre que, ce faisant, il invite le risque de la terreur au sein de la métropole.
Mais au fond, il se peut qu’il ait bien compris ! L’Occident éclairé n’est peut-être pas la victime si naïve et innocente en laquelle il aime se présenter ! Bien sûr, il faut être un assassin cruel et pervers pour tuer de sang-froid des personnes innocentes et désarmées, mais il faut être hypocrite ou stupide pour fermer les yeux sur les données dans lesquelles s’inscrit cette tragédie.
C’est aussi faire preuve d’aveuglement que de ne pas comprendre que cette situation conflictuelle ira en s’aggravant si l’on ne s’emploie pas ensemble, athées et croyants, à œuvrer à de véritables perspectives du vivre ensemble sans la haine de l’autre.
Shlomo Sand
(Traduit de l’hébreu par Michel Bilis)
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